jeudi 24 avril 2008

trading et endocrinologie

Pour ceux qui suivent régulièrement ce blog, vous vous souvenez certainement d'un post que j'ai fait à propos d'un workshop intitulé Emotions et Rationalité auquel j'ai été invité à communiquer en janvier dernier à l'Université de Cambridge avec notamment Alan Kirman et Drazen Prelec.

Dans mon post, j'avais brièvement évoqué la présentation de John Coates, ancien trader à Wall Street, aujourd'hui neurophysiologiste à Cambridge. Il avait présenté des résultats en cours de publication sur les relations entre volatilité des marchés et les variations de concentration de certaines hormones (cortisol et testostérone) chez des traders en plein travail. Nous avions aussi mentionné cette étude en avant première dans notre article sur la crise de la Société Générale avec Erwann Michel-Kerjan de la Wharton School (voir Le Figaro du 30 janvier 2008 ).



Dès janvier j'avais été très intéressé par ses résultats pour plusieurs raisons :
  • l'étude est réalisée in vivo dans une salle de marché de la City à Londres. On a tellement entendu de critiques sur le caractère "laboratoire/isolé du monde" pour les études en neuroéconomie que celle-ci mérite notre intérêt au moins pour ce fait ;
  • ensuite, il ne s'agit pas d'une expérience de plus utilisant l'IRM fonctionnelle et proposant des images de telle ou telle partie du cerveau "impliquée" dans un processus de décision économique. Cette étude (ainsi que celles sur le rôle de l'ocytocine dans l'établissement de la confiance économique (voir ici) ou de la générosité (voir ici) nous montre que la neuroéconomie ne se limite pas qu'à l'IRMf pour faire des images de cerveau en 3D. La neuroendocrinologie si chère à Jean-Didier Vincent (par ailleurs pourfendeur notoire de la neuroéconomie comme il me l'a rappelé le mois dernier à l'Assemblée Nationale, voir ici, ici et ici), joue un rôle primordial dans la régulations de nos comportements. De fait elle constitue une voie à ne pas négliger en neuroéconomie et je ne suis pas le seul à le penser, sera de plus en plus présente à l'avenir dans notre champ de recherche.
  • un des auteurs est à la fois neurophysiologiste et ancien trader, il a donc la double compétence et sait donc ce dont il parle. Et pour l'avoir entendu en janvier, il en parle très bien.
Bref, l'étude vient d'être publiée dans les prestigieux comptes rendus de l'académie des sciences des Etats-Unis (Proceedings of the National Academy of Science USA, PNAS) et constitue LE buzz neuroéconomique de la semaine voire du mois. Tous les plus grands médias du monde (Financial Times, NY Times, Tribune de Genève, Trends, etc) en parlent. Journalistes et éditorialistes s'en donnent à coeur joie et il est donc possible de lire quelques explications ou suggestions savoureuses issues de ces résultats. Bien sûr, je pourrais continuer à écrire trois ou quatre paragraphes pour discuter de ce que je pense des résultats d'une manière plus scientifique (si certains d'entre vous le désirent je le ferai). Mais pour résumer voici ce que l'on trouve dans Courrier International qui rapporte un article publié sur le sujet dans le Financial Times : «Des chercheurs de l'université de Cambridge ont étudié 17 courtiers de sexe masculin au travail et ont découvert que, pour chacun d'entre eux, des taux de testostérone temporairement plus élevés semblaient être la cause et la conséquence d'une séance fructueuse [...] lors des séances volatiles, les courtiers sont inondés de cortisol, une hormone du stress, tandis que trop de testostérone convertit les prises de risques calculées en imprudence». On peut aussi lire ce commentaire que je ne peux m'empêcher de partager avec vous : «Castrer les traders est une possibilité, mais cela pourrait décourager les nouvelles recrues». Le titre que donne le magazine Le Point sur son site est aussi explicite : «Kerviel : la faute à ses hormones» et le magazine belge Trend propose même une solution à la crise : «Embauchez des femmes pour "guérir" les marchés financiers !».

J'arrête là, ceux qui désirent lire l'article peuvent le trouver sur le site de PNAS (cliquer sur la référence ci-dessous). Si jamais vous n'y arrivez pas, envoyez-moi un mail :

J. M. Coates and J. Herbert (2008) Endogenous steroids and financial risk taking on a London trading floor. Prooceedings of the National Academy of Science USA, 105: 6167-6172 (publié en ligne le 14 avril 2008).

Bonus: je vous conseille aussi de lire un article publié en 2002 par Andrew Lo (MIT) et Dimitri Repin (Boston University) qui ont étudié les réactions émotionnelles (conductance de la peau, pulsations cardiaques etc...) de traders en fonction des fluctuations du marché. Cliquer sur la référence ci-dessous pour accéder à l'article en version pdf.
A. Low & D.V. Repin (2002) The psychophysiology of real-time financial risk processing. Journal of Cognitive Neuroscience, volume 14, 323-339.
et aussi
A. Low, D.V. Repin & B.N. Steenbarger (2005) Fear and greed in financial markets: A clinical study of day. American Economic Review, volume 95, 352-359.




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